Transformation politique et historique en Irlande

 Par Erwan Fouéré

La tempête, nommée Ciara par les météorologues, qui s’est abattue sur l’Irlande et la Grande Bretagne le samedi 8 février avec des vents d’une violence à couper le souffle, s’est faite également sentir sur la scène politique. Les résultats des élections législatives qui ont eu lieu en République d’Irlande le même jour ont causé un véritable tremblement de terre sur l’échiquier politique. En effet, le parti Sinn Fein, ancienne aile politique de l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA), a reçu près d’un quart des votes exprimés, lui donnant 37 sièges au Parlement (Dail), presque autant que le parti Fianna Fail, créé par Eamon de Valera pendant la guerre d’indépendance il y a plus de 100 ans, qui a, lui, reçu 38 sièges. Le parti au pouvoir Fine Gael, avec son leader charismatique et actuel Premier Ministre, (Taoiseach) Leo Varadkar, a reçu 35 sièges, son pire score depuis plus de 60 ans.

        C’est donc un changement politique et social sans précédent dans l’histoire de l’Irlande. Le gouvernement sortant espérait profiter du succès obtenu dans les négociations avec le voisin Boris Johnson pour mitiger l’impact du BREXIT sur la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, qui est devenue depuis le 31 Janvier la frontière entre l’UE et le Royaume-Uni. Mais le BREXIT a été à peine mentionné dans la campagne, la population étant beaucoup plus préoccupée par les problèmes plus terre-à-terre, notamment le coût de la vie très élevé et le manque d’habitations pour les plus démunis (Sur 4,9 millions d’habitants, plus de 10 000 sont sans abris en Irlande, dont plus de 4 000 jeunes de moins de 16 ans). Rappelons que l’économie irlandaise est la plus performante des 27 pays membres de l’UE, avec une population la plus jeune de l’UE (40% des habitants ont moins de 30 ans).

 

La monté du Sinn Fein

         Le Sinn Fein a su capter ce désarroi social avec un message qui raisonnait avec la majorité de jeunes qui veulent un changement radical, au delà des deux familles politiques qui se sont alternées au pouvoir depuis l’indépendance, et qui sont du point de vue idéologique très similaires. Le soutien exprimé pour le Sinn Fein était si fort que plus des deux tiers de leurs sièges ont été gagnés au premier comptage. Avec 37 élus sur les 42 candidats présentés, c’est un score remarquable.

           Rappelons que le système de votation en Irlande est très complexe - représentation proportionnelle avec la possibilité de voter en ordre descendant pour plusieurs candidats de partis différents sur le bulletin de vote, ce qui donne un aspect beaucoup plus personnel de la votation. Il arrive donc que les bulletins de vote doivent être comptés une dizaine voir même une quinzaine de fois jusqu’à ce que toutes les préférences exprimées auront été distribuées. Ce système très démocratique permet une meilleure représentation de tous les partis politiques petits et grands qui se présentent. Le seul inconvénient est que la formation d’un gouvernement est plutôt compliquée, avec la nécessité d’avoir 80 sièges sur les 160 (y compris le ‘Speaker’ (Ceann Comhairle) qui est réélu automatiquement) pour gouverner, à moins d’avoir un gouvernement minoritaire avec soutien de l’opposition. Ce qui a été le cas du gouvernement sortant élu en 2016. Il a fallu 70 jours après ces élections de 2016 pour aboutir à la formation d’un gouvernement.

 Le Sinn Fein aujourd’hui

          Malgré la participation du Sinn Fein aux négociations de paix conclues en avril 1998 par le “Good Friday Agreement”, et la création d’un exécutif pour gouverner l’Irlande du Nord, avec à sa tête un “Premier Ministre” unioniste et un “Premier Ministre Adjoint” du Sinn Fein, ce dernier a eu du mal à laisser de coté son passé lié à l’Armée Républicaine Irlandaise. C’est notamment grâce aux efforts de Martin McGuinness, qui a exercé le rôle de “Premier Ministre Adjoint” pendant près de dix ans, de 2007 jusqu’à la dissolution de l’Exécutif suite à la crise de Janvier 2017, que le parti s’est vu assumer un rôle de plus en plus prépondérant dans la vie politique tant dans le Nord que dans la République. (Suite à un accord conclut ce janvier, l’Exécutif fonctionne de nouveau, avec Michelle O Neill, du Sinn Fein, comme “Première Ministre Adjointe”, Martin McGuinness étant décédé en 2017). 

poignée de mains Reine Elizabeth avec Martin McGuinness.

(photo source Internet)       

        L’image de la poignée de main entre la Reine Elizabeth et Martin McGuinness à Belfast lors de la visite de la Reine en 2012 a représenté un geste de réconciliation d’envergure historique sans précédent, quand on se rappelle le passé sanglant dans ces îles. Ensuite, le retrait en 2018 de Gerry Adams, représentant la veille garde du Sinn Fein, et l’élection d’une jeune femme, Mary Lou McDonald à la tête du parti a contribué à lui donner un visage moderne et pro-européen, avec un profil de gauche traditionnelle plutôt que radicale.

          Dans son programme électoral, le Sinn Fein se dit en faveur d’une reforme pour rendre l’UE plus démocratique ; il s’oppose à toute tentative vers le fédéralisme ainsi que toute action dans le secteur militaire, il s’oppose également à tous les accords tels que la CETA (accord avec le Canada) et le MERCOSUR qui nuiraient aux intérêts et droits des travailleurs et seraient néfastes pour l’environnement. Il reconnait le rôle très positif de l’UE pour soutenir l’accord de paix de 1998, et attend de sa part un soutien actif pour la réunification de l’île. La présence du Sinn Fein dans les enceintes parlementaires, que ça soit l’Assemblée de Belfast, le Parlement à Dublin (Dail) ou le Parlement Européen, s’est vu amplifiée au fil des années. Aujourd’hui, le Sinn Fein a 27 membres élus à Belfast, 37 députés à Dublin (22 lors des élections de 2016), 1 au Parlement européen, sans oublier les 7 membres élus à Westminster lors des dernières élections législatives du Royaume Uni, mais qui refusent toujours de siéger, refusant la juridiction de Westminster sur le Nord.

         Si le Sinn Fein réussit à faire partie d’un gouvernement de coalition ou même de prendre la tête d’un nouveau gouvernement, cela représenterait un défi énorme pour un mouvement politique avec un passé aussi turbulent que complexe.

 Unification de l’île

        L’accord de paix de 1998 prévoit la possibilité d’une réunification de l’île par ‘consentement’, moyennant un référendum dans le Nord et dans la République. C’est un élément crucial qui garanti la voie constitutionnelle pour tout changement dans les relations entre les deux parties de l’île ainsi qu’avec le Royaume Uni. Tous les partis politiques qui se sont présentés aux élections du 8 février 2020 se sont exprimés en faveur de la réunification, mais diffèrent considérablement sur la manière d’y parvenir. Les partis traditionnels adoptent une approche de prudence afin de ne pas bouleverser l’équilibre fragile des forces politiques dans le Nord. Le Sinn Fein, quant à lui, insiste pour que les procédures pour un référendum et les révisions constitutionnelles nécessaires soient entamés pendant le mandat de ce Parlement qui vient d’être élu. Mary Lou McDonald a déjà insisté pour que l’UE s’exprime en faveur de cette éventualité en utilisant le précédent de la réunification allemande.

         Il est clair que le BREXIT et le fait que la majorité de la population en Irlande du Nord s’est exprimée au référendum de juin 2016 en faveur du maintien dans l’UE (56% POUR et 44% CONTRE), ont rendu le débat sur la réunification beaucoup plus aigu. Bien que l’opinion publique en Irlande se déclare d’une manière générale en faveur d’une réunification de l’île, il est certain que beaucoup redoutent les conséquences du point de vue économique. En effet le budget de soutien du gouvernement de Londres envers l’Irlande du Nord s’élève à 11 milliards d’euros par an. Somme que devra assumer le gouvernement de Dublin en cas de réunification. C’est la où l’UE devra intervenir, suivant l’exemple du Président Jacques Delors qui avait créé le Fonds de Paix pour l’Irlande du Nord en 1995 afin de soutenir les négociations de pa

Formation du nouveau gouvernement

         Le Parlement a tenu sa réunion constituante le 20 février, mais il est peu probable qu’un nouveau gouvernement soit en place pour encore plusieurs semaines. Les discussions pour former une coalition gouvernementale risquent d’être ardues et longues. Avant les élections, les deux formations traditionnelles Fianna Fail et Fine Gael ont déclaré être opposées à toute coalition avec le Sinn Fein, à cause de son passé. Depuis les élections, le Fine Gael (gouvernement sortant) maintient cette position, tandis que Fianna Fail a exprimé des opinions plutôt ambiguës sur la question. Le chef du parti s’est déclaré farouchement contre tout contact avec le Sinn Fein, tandis que certains membres du Fianna Fail ( dont le petit-fils de l’ancien président de Valera, Eamon O Cuiv), se sont exprimés ouverts a un dialogue. Cette situation démontre à quel point le manque de confiance existe toujours envers le Sinn Fein malgré les efforts de ce dernier et de la nouvelle génération depuis l’époque du conflit pour montrer un visage moderne.

           Divers scenarios de coalition se présentent, avec Mary Lou McDonald, déjà en pourparler avec les petits partis de gauche ainsi qu’avec les Verts (qui à eux seuls ont reçu un soutien très renforcé aux élections, passant de 2 à 12 sièges dans le nouveau Parlement). Une autre possibilité serait une coalition entre les deux formations traditionnelles : le Fianna Fail et Fine Gael. Mais l’exclusion du Sinn Fein serait difficilement acceptable pour un pourcentage important de l’électorat, notamment les jeunes, qui se sont exprimé pour un changement radical au delà des formations qui se sont alternées à la tête du gouvernement depuis l’indépendance il y a près de cent ans.

           Pour l’instant, tout cela tient de la spéculation. La possibilité d’une autre élection n’est pas à exclure. Mais le Fianna Fail autant que le Fine Gael redoutent cette éventualité offrant au Sinn Fein la possibilité d’augmenter encore plus ses scores. Quelle que soit l’issue des tractations et des négociations en cours, il est clair que la vie politique en Irlande ne sera jamais la même après ces élections, avec les tabous du passé balayés par la tempête Ciara.



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